A la tête de la Tunisian Automotive Association (TAA) depuis un an, Myriam Elloumi et les membres de son bureau ont travaillé d’arrache-pied pour la mise en avant des projets susceptibles de changer le visage de l’industrie automobile en Tunisie.

C’est un secteur qui fait face à de multiples challenges à commencer par les dernières barrières tarifaires imposées au mois d’avril par les Etats-Unis.  Ce qui n’empêche pas la présidente de la TAA de voir grand et notamment de l’Automotive Smart City, un projet crucial pour le futur de l’industrie automobile dans le pays.

Quels ont été les grands chantiers sur lesquels vous avez travaillé depuis votre élection à la tête de la TAA il y a un an ? 

Je suis certes présidente de la TAA depuis un an, mais j’y étais la vice-présidente à partir de 2018 et j’ai toujours été impliquée dans tous les dossiers, sachant que le travail de l’association s’inscrit dans la continuité. Parmi les projets structurants sur lesquels nous travaillons, je peux évoquer le Pacte de compétitivité du secteur automobile à travers les 5 piliers initialement signés : infrastructure, cadre réglementaire, emploi, formation et recherche & développement, et visibilité de l’image de la Tunisie.

La grande nouveauté de 2025 par rapport à ce dossier est la décision d’inclure un sixième pilier qui est le développement durable. Nous œuvrons, en outre, en partenariat avec le gouvernement et le ministère de l’Industrie en particulier, sur la création d’une Automotive Smart City et sur la montée en compétence des employés et des acteurs du secteur tout en offrant notre accompagnement aux entreprises pour qu’elles puissent innover davantage et se conformer aux standards internationaux, notamment en matière de développement durable. Le but est de positionner la Tunisie au cœur de l’industrie automobile de demain et des chaînes de valeur sectorielles. 

Quelles sont les perspectives d’attirer de nouveaux investisseurs étrangers et ouvrir de nouveaux marchés ? 

Le marché naturel de la Tunisie demeure l’Europe. Cependant, nous cherchons à créer de nouvelles opportunités et à développer des perspectives sur l’Afrique, un marché qui commence à se structurer et sur lequel nous travaillons depuis trois ans. Revenons à l’Europe : ce marché traverse actuellement des difficultés. Il fait face à de nombreux challenges notamment en relation avec les barrières tarifaires qui viennent des USA et l’agressivité des acteurs chinois qui cherchent à se localiser dans la région. Cela présente une opportunité pour des pays comme la Tunisie étant donné notre proximité de l’Europe et que le pays dispose d’un bassin de compétences important. Ces facteurs font de la Tunisie « The Place To Be ».

Il y a, par conséquent, une opportunité pour nous d’attirer de nouveaux investissements mais aussi pour les entreprises asiatiques voulant se rapprocher de l’Europe. De plus, quand les investisseurs européens, notamment allemands, français et italiens se localisent en Tunisie, ils deviennent plus compétitifs et peuvent y installer des centres de recherche et développement ou de faire du software engineering tout en profitant du bassin de compétences tunisiennes. Notre rôle est d’accompagner ces entreprises et de renforcer cette opportunité. 

Les exportations du secteur automobile de la Tunisie ont atteint 9,2 milliards de dinars en hausse de 12% par rapport à 2023 avec des projections de près de 10 milliards de dinars en 2025.

Quel rôle joue la TAMA (Tunisian Automotive Management Academy) dans ce processus ?

La TAMA a pour rôle d’aider à la montée en compétences des acteurs du secteur à travers des formations. Notre académie certifiée VDA QMC collabore également avec  RSCI «Responsible Supply Chain Initiative» afin d’instaurer une certification au profit des entreprises tunisiennes. Notre rôle à travers la TAMA est d’accompagner les entreprises pour quelles soient conformes à tous les standards et que leurs ressources humaines soient au top de ce qu’exige l’industrie automobile de demain.

Signature d’un mémorandum d’entente entre la TAA et l’association RSCI (Responsible Supply Chain Initiative) à l’occasion de la 9e assemblée générale de la TAA.

Considérez-vous que les compétences tunisiennes sont au même niveau que celles européennes et mondiales ?

Les compétences tunisiennes sont excellentes. De nombreux investisseurs qui s’installent en Tunisie et les entreprises qui viennent chercher des fournisseurs sont souvent impressionnés par le potentiel dont nous disposons. Notre culture industrielle est ancienne étant donné que l’assemblage automobile a commencé depuis les années 1960, ce qui a rendu l’industrie tunisienne forte, expérimentée et innovante. Bien que le pays accueille des entreprises  étrangères, il y a également des entreprises tunisiennes parmi les championnes mondiales.

Des Tunisiens sont souvent à la tête de toutes ces entreprises d’autant plus que les compétences tunisiennes savent s’exporter et elles dirigent des industries automobiles à l’étranger appartenant à de grands groupes mondiaux. Il est en fait important de rester assez proche de cette diaspora représentant la Tunisie dans tous les segments de l’industrie automobile mondiale.

Quel est impact des barrières tarifaires et douanières imposées par les Etats-Unis sur les entreprises tunisiennes ? 

Il y a certaines entreprises tunisiennes qui exportent vers les Etats-Unis. Elles font face aujourd’hui à des difficultés importantes dont l’augmentation des coûts. En outre, certains projets qui auraient dû être installés en Tunisie ont été relocalisés dans d’autres pays comme le Maroc.  La Tunisie est actuellement en négociations avec le gouvernement américain, essentiellement au niveau de l’AMCHAM (Chambre de commerce américaine en Tunisie). Pour l’instant, ce dossier n’avance pas assez vite et les entreprises continuent à en souffrir.

Nous sommes toujours en position de Wait & See. Réellement, il y a 5 à 6 entreprises tunisiennes qui sont concernées. Heureusement, une seule partie de leurs activités a été touchée. Nous espérons que les négociations pourront aider à améliorer rapidement leur situation.

En quoi consiste le projet Automotive Smart City ? Et où en êtes-vous actuellement ?  

Nous sommes actuellement en phase de design du projet qui va s’étendre sur un site de 200 hectares. L’idée est d’attirer un constructeur automobile qui puisse s’y installer et y installer son écosystème en lui fournissant tous les moyens pour qu’il puisse opérer sur l’Automotive Smart City selon les plus hauts standards industriels mondiaux. Il serait donc autonome, vert et répondant aux plus grandes exigences du secteur automobile. 

L’équipe de la Tunisian Automotive Association.

L’absence d’un port en eau profonde est-elle un frein à l’avancement de ce projet ? 

Absolument. Le port en eau profonde est une condition express de l’Automotive Smart City. Ceci est très clair pour tous les acteurs. A chaque réunion, nous ne cessons de rappeler que la mise en place de l’Automotive Smart City ne sert à rien sans le déblocage du projet de port en eau profonde. Nous espérons que l’Automotive Smart City va permettre d’accélérer le process.

Quelle est la position de la TAA à ce sujet ?  

L’un des atouts majeurs de la TAA est qu’elle est composée essentiellement d’acteurs du secteur privé. Nous sommes en effet conscients de ce que veut le business et de ce que demande le client ; ses attentes et ses contraintes. Cela aide beaucoup dans son accompagnement comme il se doit durant toutes les étapes du projet.

80% des composants automobiles produits en Tunisie sont exportés vers l’Europe.

Plus généralement, quelles sont les perspectives de développement du secteur ? 

Il s’agira d’abord d’augmenter le nombre d’investissements en Tunisie et d’augmenter la visibilité du pays à l’international en aidant les grands groupes d’investisseurs cherchant à investir dans la région à connaître les atouts de la Tunisie pour qu’ils viennent y prospecter. Nous cherchons donc à maximiser notre présence aux événements internationaux pour assoir la présence tunisienne sur l’échiquier mondial et régional de l’automobile. Il s’agira par ailleurs de positionner l’industrie tunisienne au centre de l’industrie automobile du futur.

L’autre grand débat actuel porte sur l’électrique. Pensez-vous que l’électrique va prendre la relève sur le thermique dans les prochaines années ?

Si nous suivons la réglementation européenne, cela sera le cas. Mais sur le plan pratique, il y a un certain retard. Quoi qu’il en soit, la tendance est en train d’augmenter non pas à la vitesse annoncée mais nous y arriverons tôt ou tard. L’introduction des motorisations alternatives pourrait également changer la donne. Pour l’instant, la direction est l’électromobilité et nous sommes en train d’y aller peu à peu. Il reste cependant la mise à niveau de l’infrastructure et d’autres challenges qui n’ont pas été relevés même au niveau européen. En revanche, je suis contente de voir les dispositifs d’incitation décidés par l’Etat. Nous avons, certes, commencé tard mais j’espère que nous pourrons rattraper le retard.

Propos recueillis par Kemel Chebbi

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