Depuis sa création en 2016, la TAA (Tunisian Automotive Association), qui rassemble les industriels de l’industrie automobile, s’est affirmée comme un acteur-clé du secteur en Tunisie avec des réalisations ayant contribué significativement au développement de la filière. En fin de mandat et avant de passer le relais, Nabhen Bouchaala, co-fondateur et premier président de l’association, a accordé une interview exclusive à Sayarti pour dresser le bilan des 8 années de son travail avec les autres membres fondateurs, évoquant les prochains enjeux de l’industrie automobile en Tunisie et les défis auxquels seront confrontés les industriels tunisiens, particulièrement dans la production zéro carbone.
Etes-vous aujourd’hui satisfaits des résultats du travail réalisé durant les deux mandats durant lesquels vous étiez à la tête de la TAA ? Les objectifs atteints aujourd’hui sont-ils comme vous les aviez imaginés lors de la création de l’Association ?
En créant la TAA, nous ne la voyions pas dans cet ordre de grandeur. C’était une petite association avec un bureau à la FIPA et nous étions dans une logique de préservation des acquis. L’objectif était donc de maintenir ce que nous avions et éviter tout risque d’affaiblissement de la filière. Aujourd’hui, nous avons heureusement pu nous développer encore plus. Nous avons œuvré pour ramener de nouveaux investisseurs en Tunisie. Nous avons également été membres de toutes les commissions aidant au développement de la filière en Tunisie. Nous sommes allés jusqu’à l’élaboration d’un pacte de relance du secteur avec le gouvernement. Ceci n’était pas vraiment dans nos objectifs de démarrage.
Nous en sommes donc fiers et satisfaits après 8 ans de fonctionnement de la TAA. C’est un travail d’équipe et d’un comité directeur qui a été très performant et qui a marqué sa présence dans plusieurs événements en poussant pour que ces actions soient mises en œuvre. C’est avec beaucoup de fierté et de satisfaction que je parle aujourd’hui de ce que nous avons mis en place. Bien que nous soyons passés par plusieurs événements difficiles comme le Covid, la guerre en Ukraine et la voiture électrique, nous avons toujours su montrer les atouts et les points positifs de la Tunisie.
À chaque crise, nous sommes sortis encore plus forts, voire même que nous en avons profité. Avec la crise du Coronavirus, nous avons pu ramener de nouveaux investisseurs européens qui voulaient investir dans des pays proches comme la Tunisie. Idem pour la crise de l’Ukraine où nous avons pu transférer des activités de ce pays vers la Tunisie. Aujourd’hui, il y a aussi la question de l’électrique. Nous sommes encore déterminés à la transformer en opportunité. Nous sommes en train donc d’utiliser le plus grand point fort du pays qui est l’Engineering pour développer des logiciels pour les voitures électriques et nous sommes en train de transformer le secteur de l’automobile pour ne pas rester dans la production de la pièce.
Des produits zéro carbone ? Impossible aujourd’hui avec l’électricité produite par la STEG.
Quels sont les risques auxquels est exposée l’industrie automobile en Tunisie avec l’avènement de la voiture électrique ?
En Tunisie, nous avons heureusement un tissu industriel qui est déjà disposé à la voiture électrique étant donné que les industriels ne sont pas uniquement focalisés sur le moteur thermique. Indépendamment de la gestion de quelques pièces du moteur thermique, l’industrie automobile tunisienne est plus dans la partie électrique, électronique et câblage. Raison pour laquelle elle va pouvoir continuer à travailler et ne se trouvera pas à la traîne par rapport à la voiture électrique. Quant aux autres composants comme la suspension, le châssis et toutes les parties de l’extérieur de la voiture ainsi que les sièges, leur production ne s’arrêtera pas non plus. Grosso modo, il n’y a pas de risques importants provenant de la mutation vers la mobilité électrique.
Néanmoins, la véritable menace vient des donneurs d’ordre à cause d’un mix énergétique du pays très faible et d’une importante empreinte carbone. Cela veut dire que nous allons être amenés demain à payer des taxes, devenant ainsi moins compétitifs par rapport aux entreprises en Europe et dans d’autres pays. La Tunisie a également un problème en termes d’énergies renouvelables. En d’autres termes, si nous parvenons même à améliorer notre mix énergétique au niveau de la STEG, ce sera toujours insuffisant étant donné que les entreprises voulant produire en local leur énergie renouvelable vont rencontrer d’énormes difficultés pour avoir des accords de la part de l’administration. Nous sommes donc contraints de dépendre de la STEG et de l’Etat par rapport à la production de l’énergie et nous ne serons pas capables de démontrer à nos clients que nous avons une production zéro carbone.
Commencez-vous réellement à ressentir cette pression de la part des donneurs d’ordre ?
Nous sommes clairement sous pression des donneurs d’ordre. Ils demandent carrément aujourd’hui un plan d’actions zéro carbone. Généralement, nous parlons de deux dates butoirs ; la première concerne une réduction de l’empreinte carbone à l’horizon 2030 et la seconde prévoit un plan zéro carbone pour 2050. Les constructeurs automobiles européens se sont fixés pour eux-mêmes des dates butoirs afin de parvenir à une production zéro carbone pour 2039, 2040 et 2048.
Et pour atteindre cet objectif, ils exigeront d’acheter chez nous aussi des produits zéro carbone, ce qui est impossible aujourd’hui avec l’électricité produite par la STEG. De toute façon, nous ne sommes pas capables de produire zéro carbone dans nos usines même si la STEG était en mesure de produire à 100% de l’électricité verte parce qu’il faut moderniser les équipements de production chez les industriels pour qu’ils soient tous électriques, éliminant ainsi le fuel et le gaz dans notre industrie.
Quelle solution envisagez-vous afin d’accélérer la réduction de l’empreinte carbone dans la production automobile ?
Il faudra prévoir un plan de mise à niveau de nos entreprises. Or, nous sommes en train de discuter d’un plan de mise à niveau zéro carbone sans pour autant aborder la question des moyens de production qui devront aussi être transformés. Il s’agira également d’introduire les nouvelles technologies dans l’industrie automobile et dans les usines pour minimiser les déchets. Ceci revêt une importance majeure pour l’avenir de l’industrie automobile en Tunisie.
Il sera nécessaire d’avoir l’intelligence de gérer notre planification et d’éviter la surproduction ou d’avoir des problèmes liés à la qualité. Il s’agirait, par exemple, d’avoir des machines connectées entre elles (Internet of Things) pour qu’elles nous fournissent les connaissances nécessaires autour du comportement des machines lors de la phase de production ou nous aider à aller plus vers la maintenance prédictive au lieu de la maintenance curative qui nous fait perdre énormément de temps et d’énergie. En réalité, il y a beaucoup de changements à mener dans notre façon d’agir en tant qu’industriels. Il y aura également besoin d’avoir le soutien de l’Etat et aussi un important besoin de financement dans cette étape de transition énergétique des usines de production.
Comment l’Etat peut-il aider les industriels et à travers quels mécanismes ?
Au lieu de taxer les industriels afin de réduire leur empreinte carbone, il vaudrait mieux les subventionner dans le but d’accélérer la transition énergétique. Mettre des taxes et pénaliser n’incitent pas les industriels à investir alors qu’il faudrait les encourager et les subventionner. Il s’agirait, par exemple, de mettre en partenariat avec l’Etat des plans de mise à niveau, lesquels seront suivis pour être exécutés dans les délais. L’industriel acceptant d’être subventionné sera ainsi contraint d’investir et de mener sa transition énergétique.
Quel chantier avez-vous lancé au niveau de la TAA pour accélérer la transition énergétique ?
A notre niveau, nous essayons d’aider les entreprises pour calculer leur empreinte carbone. Un projet est en cours pour le calcul du bilan carbone sur la chaîne de valeur de chaque entreprise dans le secteur automobile. Nous les soutenons également pour instaurer les normes de la certification 50001 en relation avec la gestion efficace de l’énergie. Nous avons, d’ailleurs, créé un cluster de gestion énergétique. Nous voulons ainsi mettre en place un certain cadre dans lequel tous les membres parlent de l’ESG (durabilité) et de la transition énergétique.
Nous sommes en train de discuter d’un plan de mise à niveau zéro carbone.
Autre point presque aussi important, nous discutons de la mise à jour de notre pacte composé de 5 piliers afin d’y rajouter un 6ème pilier autour de la « Sustainability » dans lequel il va y avoir plusieurs actions permettant de suivre le développement de ce nouvel axe à l’instar des autres piliers du pacte.
Quelles seront, selon vous, les prochains objectifs prioritaires de la TAA ?
Le point le plus important, c’est qu’il y a toujours de la continuité entre l’ancien et le nouveau comités puisque 5 anciens membres vont continuer avec le nouveau bureau. Nous avons défini tous ensemble la stratégie pour 2025 et 2026 dans laquelle les axes sont déjà définis. Il n’y aura pas donc de changement dans la ligne directrice de la TAA.
Kèmel CHEBBI
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