Entretien avec : Marouen Ben Jemâa, Président du Conseil d’administration Alpha Ford Tunisie

Rachetée en 2021, la société Alpha Ford Tunisie a entamé un plan de remise à niveau global portant sur la mise en place de nouveaux process, l’amélioration de ses systèmes d’information, etc. Aujourd’hui, elle entame un nouveau virage dans le sillage de celui engagé par le constructeur Ford avec un repositionnement au niveau notamment des modèles qui seront à l’avenir proposés au marché tunisien. Marouen Ben Jemaâ, en sa qualité également de membre actif de la Chambre nationale syndicale des concessionnaires automobiles, aborde également dans cette interview des sujets relatifs à la situation du secteur en Tunisie.

Quel a été tout d’abord pour vous l’événement phare de l’année 2023 dans l’automobile en Tunisie ?

Depuis 2020, on se battait pour faire passer la norme Euro 6. C’est une norme adoptée par l’Europe depuis très longtemps mais pas encore chez nous. Ce dossier a été traité en 2023 par la Chambre des concessionnaires en étroite collaboration avec l’INNORPI, la Chambre des pétroliers, la STIR et la SOTRAPIL. En décembre dernier, un consensus a été trouvé entre ces différentes parties pour finalement adopter cette norme. L’impact de cette décision est très important sur notre marché puisque tous les concessionnaires vont pouvoir importer des véhicules hybrides qui sont équipés de moteurs Euro 6.  D’ailleurs, on parle déjà de plus 60 véhicules homologués en Tunisie par les différentes marques pour des voitures hybrides selon l’ATTT.

Actuellement, l’Europe se prépare à passer à l’Euro 7 en 2025 et les constructeurs ont donc commencé à abandonner progressivement la production de moteurs Euro 3, 4 et 5. Cela a eu pour résultat sur la Tunisie d’enregistrer un manque de véhicules et surtout, nous sommes restés sur des motorisations énergivores. Cela a eu un impact à trois niveaux sur notre marché : une grande consommation de carburant étant donné que nous recevons des véhicules de grosses cylindrées (1.5, 1.7 et autres) avec ses conséquences sur les subventions -car plus on consomme de carburant plus l’Etat subventionne. En deuxième lieu, un moteur de grosse cylindrée signifie des taxes élevées et donc une envolée des prix des véhicules. Et troisièmement, la question écologique et la pollution que cela engendre.

Vu que notre segment est très tourné vers les 4X4, nous sommes en train de voir la possibilité d’ouvrir dans le sud

En tant que concessionnaire de la marque Ford en Tunisie, comment allez-vous négocier ces nouvelles dispositions ?

En 2024, nous allons entamer une nouvelle phase de transformation pour avoir des véhicules avec une gamme qui va démarrer avec la Kuga hybride et d’autres modèles qui vont arriver en 2024 et nous allons d’ailleurs commencer les homologations. Récemment, nous avons dévoilé le Ford Everest, un 4X4 très compétitif par rapport à ce qui existe sur le marché du point de vue robustesse, qualité et finition intérieure et surtout au point de vue performances off-road.

Nous serons aussi sur la gamme utilitaire (comme notre Ford Transit) et mini-bus avec une belle offre en 2024. Nous croyons beaucoup dans le secteur du transport, que ce soit agences de voyages ou autres

La marque elle-même est en train de muter. Tout le monde sait que le constructeur a abandonné les segments A, B et C, à savoir les mythiques Fiesta (en 2023) et Focus (en 2025) avec un arrêt définitif de leur production. Il n’y aura plus de produits Ford Europe et Ford US, d’où l’abandon des berlines Sedan notamment. Ford se repositionne donc sur sa vraie identité, une marque américaine tournée plus vers les SUV, les 4X4 et les pickups. Donc, à l’avenir, ce sera une marque plutôt premium et non plus une marque généraliste engagée dans une course aux volumes mais ce sera désormais la profitabilité qui primera.

Ford a abandonné les segments A, B et C, à savoir les mythiques Fiesta et Focus

Quels sont les grands chantiers que vous avez entamés au niveau de l’entreprise ?

Nous avons entamé une large mise à niveau notamment dans nos ateliers et la mise en place de normes de qualité et de satisfaction client. Egalement une meilleure communication et une présence plus forte sur les médias et réseaux sociaux. Nous avons engagé en 2023 un travail pour élargir notre réseau avec l’ouverture d’une nouvelle agence à Gabès. En 2024, nous allons étendre le réseau sur le Grand-Tunis avec deux nouvelles agences. Et vu que notre segment est très tourné vers les 4X4, nous sommes en train de voir la possibilité d’ouvrir dans le sud, peut-être Tozeur ou Douz où il y a une activité de tourisme saharien et également une agence sur le nord-ouest pour le segment du pickup double cabine.

Que vous a apporté le partenariat avec le groupe portugais Caetano en termes de savoir-faire, en termes financiers… ?

Notre collaboration avec Caetano avait pour but de s’associer à un partenaire étranger pour trouver des pistes de collaboration au point de vue distribution en Afrique. C’était en fait le but premier. Nous avons réalisé des études qui sont en train d’être peaufinées. Le projet n’est pas limité à Ford, notre partenaire étant également actif dans les bus. La décision sera prise dès que nous aurons arrêté les bons choix. Notre collaboration ne s’arrête donc pas à la distribution automobile mais est ouverte sur d’autres perspectives pour passer de la distribution classique à la distribution industrielle.

Pour l’électrique, nous avons le temps de réfléchir et de voir l’expérience de ce qui a été fait à l’étranger

Les nouvelles dispositions fiscales en faveur de l’électrique vous inspirent quels commentaires ?

Concernant l’électrique et l’hybride, l’Etat, l’ANME et l’ATTT sont clairement en train de préparer le terrain pour l’arrivée de ce type de véhicules. Pour l’électrique, il faut admettre qu’il reste encore un gros problèmes d’infrastructures à mettre en place. Pour moi, c’est une tendance qui n’est pas encore certaine et même les constructeurs automobiles occidentaux sont en train de débattre de la question. Il y a d’autres technologies comme l’hydrogène liquide à laquelle ils ont pensé depuis les années 90 qui offre comme avantages un transport beaucoup plus facile et des délais de ravitaillement plus rapides que la recharge d’une voiture sur une borne électrique. L’Europe a décidé l’interdiction des moteurs thermiques, la réponse a été l’électrique. Mais d’ici 2035, allons-nous suivre la tendance ou pas ? Je dis que l’électrique n’a pas forcément gagné cette bataille parce que c’est l’Europe qui a pris cette décision, mais les Chinois et les Américains n’ont pas de loi qui les obligent à arrêter le thermique.

Doit-on donc nous positionner en tant qu’observateurs au risque de nous faire dépasser ?

En Tunisie, certains disent que nous sommes en retard sur l’électrique, je pense plutôt qu’il n’y a pas d’urgence à prendre de décision. L’hybride oui mais l’électrique, nous avons le temps de réfléchir et de voir l’expérience de ce qui a été fait à l’étranger. Eux ont été pressés par le temps, nous, nous avons le temps par rapport à l’installation des infrastructures. Nous avons je le rappelle l’option du photovoltaïque. En plus, l’électricité chez nous est aussi un produit subventionné et on veut sortir de cette dépendance. Peut-être que c’est l’occasion, dans cette transition-là, de changer les choses.

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